Il ne fallut qu’un instant à Ice, pour envoyer un carreau dans le cœur du vampire à terre. Les trois hunters présents entrèrent alors dans la chambre où Samuel se trouvait toujours attaché, un pieu métallique pendant toujours de la plaie saignante.
Samuel était fasciné par l’aspect bestial qui se dégageait d’eux. Le plus grand, celui à la hache, lui apparaissait tel un minotaure, ses oculaires dégageaient une lueur rouge intense et, de derrière sa nuque, un nuage de vapeur sortit soudainement de l’armure, comme la respiration d’un buffle dans le froid. Ice s’approcha de lui et il vit qu’elle le regardait de la tête aux pieds. Il comprit qu’elle envoyait à leur QG les images de son état physique. Un quatrième hunter entra dans la salle. Samuel reconnut sur son épaulette le grade des lieutenants, ceux qui dirigeaient les unités sur le terrain. Il sembla converser avec ses hommes, mais aucun son n’était audible.
Ice, après avoir fini son examen, se retourna vers eux et le lieutenant acquiesça à sa demande muette. Elle enleva alors, avec minutie, le pic sur la poitrine de Samuel, le hunter Enzo lui tendit un drap de lit qui traînait et elle épongea le sang qui coulait encore de la plaie. Pendant ce temps, le colosse traîna les deux vampires paralysés au milieu du salon. Un cinquième hunter était maintenant entré. Il portait un long fusil et Samuel comprit que c’était lui qui avait dû, d’un immeuble voisin, abattre Carson.
Samuel ne ressentait rien. Il prenait les informations comme elles venaient. Pas un mot n’avait été échangé depuis ce coup de fusil. Rien. Il regarda Ice le libérer, avec l’aide d’Enzo. Leur lieutenant semblait communiquer un rapport, mais toujours sans qu’aucun son ne traverse son casque, et les 2 autres surveillaient les deux vampires prisonniers. Puis d’autres gens arrivèrent, qui portaient les uniformes des hunters, mais sans armures. Ils commencèrent à prendre le corps de Carson en photo, et l’un deux se pencha sur les blessures de Samuel. On l’avait assis sur son fauteuil maintenant. Et, petit à petit, le monde redevenait sonore.
« Il lui faudra à peine une heure pour récupérer des lésions, Sergent », dit l’homme qui l’auscultait en se retournant vers Ice.
« Bien », elle enleva alors son casque et regarda un instant Samuel droit dans les yeux. « Je suis désolé pour ce qu’on vous a fait. », finit-elle par dire.
Samuel resta muet. Il était encore complètement insensible à ce qui ce passait. Le sergent commença à s’éloigner et c’est seulement qu’il prit conscience que c’est à lui qu’elle s’adressait.
« Je comprends », dit-il. Elle se retourna un instant, et ce que Samuel lut alors dans son regard, il ne s’y attendait pas. Ce n’était pas là la réponse qu’elle voulait. C’était de la culpabilité qu’il voyait et il comprit alors qu’elle aurait voulu que Samuel lui en veuille et le lui dise, elle ne voulait pas de pardon. Le lieutenant de l’unité rappela son sergent, et Ice remit alors son casque et s’éloigna. Quelques secondes plus tard, l’unité 15-1 des Vampires Hunter Brigades avait quitté son appartement et sa vie.
Il y avait bien une vingtaine d’agents maintenant dans l’appartement de Samuel. Des fourmis, voilà à quoi ressemblaient ces hommes. Des fourmis occupées à nettoyer l’endroit où les prédateurs s’étaient affrontés. Tous arboraient un 15 en tête de leur matricule, et Samuel ne fut pas surpris quand l’Inspecteur de leur section, Spaded, entra à son tour. Il le vit signer un formulaire qu’un assistant lui tendait, puis le chercher du regard. Quand il vit Samuel, l’assurance de l’Inspecteur chuta sensiblement. Il inspira profondément et vint s’asseoir dans le fauteuil en face de lui.
Les agents avaient, tout juste après s’être occupé du cadavre et des prisonniers, remis en état, de façon sommaire, les volets de la chambre et la porte. L’aube pouvait donc arriver.
L’inspecteur Spaded se montra bien plus conciliant que lors de leur dernière entrevue, même s’il avait du mal à avouer avoir menti. « Si on regarde bien les faits, vous nous avez vraiment aidés à arrêter un criminel ! C’est juste sur l’ordre des choses que j’ai été un peu flou », dit-il avec un ton vaguement débonnaire alors que la conversation s’engageait sur un ton plutôt courtois. Samuel ne comprenait pas pourquoi il ne ressentait plus de colère. C’est tout en continuant à remettre en cause les agissements de l’Inspecteur, pour la forme plus qu’autre chose, que son esprit commença à lui donner les clefs de son humeur inattendue. Il comprit qu’il n’était pas comme Carson, qu’il ne l’avait jamais été. Il n’aspirait pas à une vie meilleure, surtout pas aux dépens de celles des autres, de celles des humains, ou des siens quels qu’ils furent. Au contraire, ce qui le rendait presque heureux des événements, c’est qu’il s’était sacrifié pour la cause qu’il trouvait bonne, même si tout avait été involontaire. Enfin, c’était quand même grâce à lui qu’un terroriste, prêt à passer à l’acte, avait été arrêté !
Alors qu’il avait été utilisé par la police comme appât pour des vampires prêts à tout pour une cause inepte, il se sentait pourtant maître de sa vie. Plus qu’il ne l’avait jamais imaginé.
Il n’écoutait plus ce que l’Inspecteur lui disait, et ne regarda même pas le contenu de l’enveloppe qu’il lui tendit. En fait, il ne s’intéressa à lui que quand ce dernier lui demanda une deuxième fois : « Alors, nous pouvons nous considérer comme quitte »
Samuel le regarda vivement. Oui, il avait du pouvoir. Le regard de Ice avant son départ le prouvait, il y avait toujours une flamme de démocratie dans ce pays, et le fait qu’on lui ait bafoué ses droits lui donnait un statut plus qu’important, celui de victime d’un système. Il ne pourrait pas en user bien longtemps et se demanda donc ce qu’il pouvait avoir de plus que cette conséquente enveloppe.
« Je crois que vous savez qu’en tant qu’homme ayant connu l’avant crise, j’ai toujours, en moi, un sens de l’honneur très vieille école, Inspecteur. Je crois donc savoir ce qui pourrait nous rendre parfaitement quittes ».

L’inspecteur ne broncha pas. Il ne dit rien et partit devant le regard de ses hommes. Samuel crut un temps que Spaded lui rendrait sa gifle, mais non. Samuel savoura ce moment. Il avait l’impression de revivre, il se sentait citoyen d’un monde qu’il pourrait contribuer à rendre plus juste, à sa manière. Il regarda, avec un léger sourire, sa main qui, un instant plus tôt, s’était aplatie sur le visage autrefois suffisant de l’Inspecteur Spaded, et alla se servir un verre de whisky tandis qu’autour de lui, les agents des VHB continuaient d’effacer les traces de l’intervention. Dehors, le soleil avait déjà montré ses premiers rayons, et puisqu’il devait rester tout le jour enfermé, il décida de commencer la liste des choses qu’il pourrait entamer la nuit suivante. En premier sur sa liste on pouvait lire :

Pour la nuit du 21 au 22 mars :
1 - Sourire en retour à la jeune voisine.
2 - …

FIN