L’homme dans la cellule, Samuel commençait à le connaître. Il l’avait vu discuter avec ceux qui l’interrogeaient dans les couloirs. Ce devait être le « chef ». Il allait peut-être enfin savoir ce qu’on lui reprochait.
« Inspecteur Spaded », lança l’intrus, le nez toujours dans un dossier, « j’aimerais que vous m’accompagniez. »
Samuel regarda avec attention l’inspecteur. Il lui apparaissait évident que cet homme avait été un jour sur le terrain tant il paraissait étriqué dans ce costume.
Samuel s’était levé sans rien dire et suivait l’homme dans le couloir qu’il avait déjà arpenté plusieurs fois, celui qui conduisait vers les salles d’interrogatoire. Il était escorté, comme à chaque fois par un hunter dans sa lourde armure. C’était étrange de les voir se déplacer, ils n’avaient rien d’humain dans leur mouvement, et leur silence était plus qu’effrayant. C’était certainement voulu, il leur fallait bien rivaliser sur ce point avec les dentus.
L’Inspecteur Spaded ouvrit l’une des portes du couloir et laissa le prisonnier entrer. Samuel s’assit à la place qu’il savait être la sienne, celle qui tournait le dos aux fenêtres obstruées par de lourds rideaux métalliques. Samuel savait qu’il pouvait ne pas ressortir vivant de cette pièce, qu’une sentence pourrait être prononcée, que l’Inspecteur pouvait déclencher l’ouverture de rideau. Il se sentit mal tout d’un coup. Empli d’une tristesse profonde. L’inspecteur s’était assis devant lui les jambes allongées, de profil à la table, tournant les pages du dossier d’une main distraite. Il avait l’air de s’ennuyer, en fait. Cette indifférence finit d’achever Samuel qui sentait poindre des larmes. Sa gorge devenant de plus en plus douloureuse, il toussa péniblement. L’inspecteur se redressa alors et le regarda un temps, cherchant le regard que Samuel refusait de lui donner, puis commença à parler.
« Comme je disais, je suis l’Inspecteur Spaded en charge de la section 15 des Vampire Hunter Brigade.
- Décidément », souffla Samuel, le regard toujours posé sur la table.
« Oui ? » interrogea Spaded.
« Non, rien… enfin disons que ce chiffre ne semble pas me porter bonheur. »
L’inspecteur marqua un temps, puis jeta un bref regard sur le dossier.
« Oui, je vois que vous avez été arrêté dans le 15ème district.
- Oui », répondit Samuel.
« Par l’Inspecteur Williamson de la police de N2O.
- Oui. Qui s’est empressé de vous appeler n’étant pas habilité à gérer un cas comme le mien » répondit calmement Samuel. Il découvrait curieusement que cette discussion le faisait se sentir finalement plus apaisé et la boule qui lui bloquait la gorge paraissait disparaître au fur et à mesure qu’il comblait le silence. « Vous trouvez ça naturel, vous », continua-t-il, « que, par le simple fait que je sois un vampire, je ne puisse pas subir une arrestation normale, par une police normale, dans le cadre d’une erreur judiciaire normale ? »
Samuel avait enfin osé lever les yeux vers son interlocuteur, qui le regardait avec une certaine sympathie. Cela eut pour effet de le déstabiliser et il était prêt à s’excuser quand l’inspecteur prit la parole.
« Vous n’avez pas mangé depuis que vous êtes là ? Je me trompe ?
- Oui, c’est vrai », avoua Samuel.
Spaded poussa un soupir et se tourna complètement face au vampire.
« Ecoutez », commença-t-il sur le ton de la confession, « nous vous devons des excuses pour cette arrestation abusive. » Samuel eut un léger temps de flottement. « Nous avions besoin d’un bouc émissaire », continua l’inspecteur, « et le hasard a voulu que ce soit vous. Je ne peux pas tout vous expliquer en détail, mais disons simplement que nous voulions arrêter quelqu’un, un vampire, et nous lui avons fait croire que nous pensions l’avoir arrêté pour qu’il fasse une erreur.
- Comment ça, je ne comprends pas.
- On s’est servi de vous pour faire tomber un criminel, monsieur Craig. »
Samuel sentit un blanc immense envahir son esprit, il était prêt à défaillir. Entre soulagement et colère, il ne savait plus quel sentiment choisir.
« Je… Je crois que je vais porter plainte, Inspecteur. »
Spaded le regarda un instant et referma le dossier devant lui.
« Non. Je crois que vous allez accepter notre prime de compensation et que vous allez rentrer chez vous. Demain, vous n’irez pas travailler et, dans deux jours, vous reprendrez votre vie normale. Point. Et, si vous restez bien sage, vous recevrez une belle carte de vœux à Noël prochain.
- Comment… » commença Samuel.
« Je vais m’occuper de votre retour chez vous », dit l’inspecteur en se levant, « et je vais vous faire apporter une poche pour que vous ne partiez pas le ventre vide. » Puis l’inspecteur Spaded sortit de la pièce et s’éloigna dans le couloir sans se retourner.

(la suite..)