Ice le conduisit tout d’abord à un guichet où il put récupérer ses effets personnels : son pardessus, son chapeau et puis le classique portefeuille débordant de papiers divers, et sa mallette d’où n’avaient pas bougé les contrats urgents qu’il aurait dû déjà renvoyer. Il allait partir mais l’homme au guichet lui remit encore un sachet de papier brun. Il mit un temps à se rappeler ce que c’était, mais il lui revint alors qu’il sortait de chez son parfumeur quand il avait été arrêté. Il se rendit compte alors qu’il devait dégager une odeur désagréable. Il inspira un peu d’air et, quand celui-ci emplit son nez, il se fit la réflexion qu’il lui était arrivé, notamment les lendemains de virée entre amis, d’être bien plus rebutant. L’avantage d’être un vampire, c’est que l’on ne sue pour ainsi dire pas. L’inconvénient, c’est que l’on a naturellement tendance à sentir le renfermé, voire la viande morte. Rien de plus désagréable quand on se prétend encore en vie. Samuel se retint néanmoins d’user du flacon que contenait le sac, c’eût été un peu hors de propos. Il aurait tout loisir de reprendre possession de son corps une fois clos entre les quatre murs de son appartement.
Une chose qui frappa Samuel, alors que le sergent Ice lui faisait traverser d’autres salles et d’autres couloirs, fut que personne ne semblait prêter attention à eux. Seules certaines personnes, visiblement des premières classes, saluaient le sergent de façon presque imperceptible et mécanique.
Ice s’arrêta à un nouveau guichet où, après avoir signé un document, on lui remit des clés. Ils prirent alors un ascenseur et descendirent dans ce qu’il comprit être les sous-sols de la Tour. Il faisait encore jour dehors, Samuel put s’en rendre compte sur l’horloge dominant la porte d’entrée du garage devant laquelle il se tenait. Il était 15h passées. Samuel profita de ce que le Sergent Ice s’était absenté pour régler l’heure de sa montre à gousset qu’il avait pu remettre dans la poche de son veston. Depuis les 5 ans qu’il possédait cette montre, il n’avait jamais eu à la remettre en marche. Pour un vampire, remonter quotidiennement le mécanisme de sa montre est une question de survie.
Quand le Sergent Ice revint, elle avait revêtu son armure, une version très allégée de celles de ses deux collègues qui les rejoignirent un instant après. En plus du casque, elle ne portait qu’une protection au cou et au cœur, d’énormes bottes qui lui donnaient une curieuse silhouette et un gant métallique qui recouvrait tout l’avant bras droit. Son épaulette, à l’instar de celles de ses deux collègues, était entièrement chromée. Samuel savait que chaque unité des hunters, dans un esprit de corps purement militaire, aimait à se parer d’atours propres. Il avait toujours trouvé ce concept des plus ridicules, mais, à cet instant, il ressentit presque une fierté de voir cette femme, vampire, pouvoir s’intégrer ici. Il faut dire qu’il était déjà un vampire depuis longtemps quand les V.H.B. acceptèrent pour la première fois un « dentu » dans leur rang. Maintenant ils lui apparaissaient bien acceptés, voire même primordiaux dans cette police.
Alors qu’ils se dirigeaient vers l’un de ces véhicules spécialement conçus pour transporter les vampires de jour, Samuel rompit le silence qui s’était installé entre eux depuis la salle d’interrogatoire.
Je viens de penser à une chose » commença-t-il, « mon immeuble n’est pas équipé de sas pour les entrées diurnes.
- Ce véhicule est équipé d’un sas mobile. », répondit sèchement Ice en ouvrant la porte coulissante sur le côté du véhicule. Elle fit signe à Samuel de monter à l’arrière et elle le suivit. Les hunters, en armures, avaient pris place à l’avant du véhicule.

Durant le trajet, Samuel ne put que constater que, malgré leur modernité technique, les véhicules des hunters n’avaient pas été conçus pour le confort des voyageurs. De plus, la totale isolation d’avec le milieu extérieur et son estomac encore rempli de sang, étaient à deux doigts de le rendre nauséeux. Il leur fallut bien une heure pour rejoindre l’immeuble de Samuel. Il entendit alors les deux hunters sortir et s’affairer pour installer le sas mobile. Puis le Sergent Ice, ayant certainement reçu le feu vert dans son casque, ouvrit la porte. Samuel eut un instant d’appréhension, mais il vit que le sas était très bien installé. Les vampires ne sont pas égaux face au soleil. Certains auraient pu, par exemple, sortir du véhicule en plein jour et rejoindre l’immeuble sans trop de problèmes Samuel, lui, était de ceux dont la moindre exposition causait de graves dommages. Il descendit alors, suivi par le sergent Ice. Arrivé à la porte de l’immeuble, elle le dépassa et entra la première. Elle entreprit de regarder le couloir et la cage d’escalier.
« Il y a un panneau qui n’est pas fermé au troisième » dit-elle. « Enzo ? » Samuel mit un temps à comprendre qu’elle ne s’adressait pas à lui. Ils attendirent un instant que le hunter accède au sas en passant par la cabine de pilotage du véhicule et, de là, à sa section arrière. Il semblait contrarié. Samuel se doutait bien que ce genre de mission n’était pas la panacée pour des hommes préparés au combat. S’il s’agissait bien d’un homme. Car, à vrai dire, avec ces armures et leurs surnoms improbables, le sexe des hunters était difficile à deviner.
Le hunter entreprit quand même l’ascension des escaliers. Il était stupéfiant de voir que, malgré le poids que devait représenter l’armure, il n’était aucunement incommodé. Il referma le volet laissé ouvert, et Ice et Samuel le rejoignirent au 4ème étage où Samuel avait son appartement.
Voilà trois jours qu’il attendait de pouvoir accomplir ce simple geste : tourner la clef de chez lui. Il ouvrit la porte et entra en reproduisant machinalement les gestes qu’il faisait chaque fin de nuit de travail. Il posa sa mallette sur le meuble d’entrée puis son pardessus et son chapeau sur le portemanteau. Il se retourna alors vers le sergent Ice qui se tenait dans l’encadrement de la porte, avec, derrière elle, la silhouette imposante du hunter « Enzo ».
« Ne me dites pas que vous ne pouvez pas entrer sans y être invité ! » dit-il sur le ton de la plaisanterie avant de se rappeler que le sergent Ice n’était pas enclin à ce genre de pratique.
« Vous ne croyez pas si bien dire, Monsieur Craig » reprit-elle le plus sérieusement possible. « Nous n’avons pas de mandat, aussi nous ne pouvons pas entrer sans votre autorisation. »
Samuel les regarda un instant.
« Mais vous n’avez de toute façon aucune raison de rentrer, non ? »
- Non. Nous attendons juste que les greffiers enregistrent votre retour à domicile. ».
Samuel se souvint alors que le casque des hunters transmettait directement dans la Tour des images de leur intervention. Innovation technique qui l’avait toujours stupéfait et de la véracité de laquelle il doutait encore.
« Oh. Je vois. Eh bien, entrez en attendant. Je peux vous servir quelque chose à boire, hunter, euh… Enzo ? »

(la suite)