Son cœur battait dans sa poitrine à un rythme effréné, une boule se noua dans sa gorge. Elle tâchait de respirer le plus calmement possible, mais le trouble persistait. Elle ne pouvait plus attendre, ce serait ce soir. Sam se tourna vers le miroir, monta, décidée, sur le tabouret puis sur la table ; elle pouvait voir son reflet en pied maintenant. Elle enleva son gilet sans se quitter du regard, et, après un temps, elle déboutonna son chemisier lentement, le fit glisser le long de ses bras et le laissa tomber derrière elle. Puis Sam enleva le bouton unique de sa jupe, et en ouvrit la fermeture, et de la même manière que son gilet, la laissa glisser sur la table. Déjà, elle pouvait voir ses seins pointer à travers son soutien-gorge. Sam savait qu’Elle la regardait, que, comme elle, Elle attendait ce jour.

Leur première rencontre avait été accidentelle. Comment en aurait-il pu être autrement ? C’était un de ces soirs où Sam avait décidé de se faire plaisir. Toujours le même rituel. Un bon repas et des bougies, une bouteille de vin de la Nouvelle Europe et sa belle robe, la noire… celle avec laquelle elle n’aurait jamais osé sortir, mais qui lui allait à ravir, qui la rendait désirable, même à ses yeux. Elle dînait alors devant le miroir, trinquant avec son reflet, s’enivrant suffisamment, puis, rougissant de sa propre audace, se regardait droit dans les yeux alors que sa main se glissait entre ses cuisses. Mais immanquablement, elle finissait toujours par s’arrêter quand la jouissance apparaissait comme impossible à atteindre. Elle rallumait la lumière, soufflait les bougies, se lavait la main, débarrassait la table et, frustrée, allait se coucher.
Mais ce soir-là, celui de la première rencontre, rien ne se passa comme à l’accoutumée. Le plaisir semblait prêt à venir, et ses prémices firent faire à Sam un mouvement brusque sur son tabouret, et elle se cogna le genou. Au début, la douleur et l’énervement firent que Sam ne remarqua rien d’anormal. Mais quand son regard se reposa sur la table, elle vit qu’une des bougies avait bousculé sur le miroir et s’était visiblement éteinte. Elle releva le bougeoir, et la flamme réapparut. Elle ne comprit pas tout de suite. Puis Sam remarqua que la bougie était plus grande que ce qu’elle avait vu penché. Son cerveau lui donna une réponse à ce problème à la fois évidente et impossible : la bougie était tombée dans le miroir.
Le vin ! C’est le vin, pensa-t-elle. Mais elle resta à regarder fixement la bougie. Son père lui ayant répété toute son enfance que l’expérience valait souvent mieux que toutes les théories, elle prit la bougie et la pencha petit à petit vers le miroir. Et la bougie traversa le miroir. Elle la ressortit doucement, et la flamme réapparut dans la pièce.

Sam était toujours là, en sous-vêtements, debout sur sa table, elle n’osait pas toucher la surface du miroir, de peur que tout ce qu’elle avait vécu ces derniers mois ne soit que le résultat d’une folie. Elle se sentit ridicule soudainement, à moitié nue, debout sur une table, seule. Puis des sensations lui revinrent. Non, elle ne pouvait pas avoir rêvé tout cela. Elle l’avait senti, et les images de ce premier soir, celui où la bougie était tombée dans le miroir, se bousculèrent dans son esprit, et sa poitrine se gonfla de nouveau, et sa respiration repris son rythme rapide.
Ce premier soir…
Après avoir reposé la bougie, elle était restée un long moment absente. Un bruit lointain lui fit reprendre contact avec la réalité et elle se décida enfin à approcher une main de cette surface lisse. Elle ne rencontra aucun obstacle. Sa main entière avait disparu. Elle la retira doucement. Elle recula prudemment de la table et pris dans son sac une cigarette. Elle l’alluma et, s’appuyant contre son évier, la fuma, sans quitter des yeux le miroir. Puis elle écrasa sa cigarette et, décidée, grimpa à genoux sur la table et s’approcha de nouveau du miroir. Elle releva sa manche, comme lorsqu’on s’apprête à chercher quelque chose dans un bassin rempli d’eau, et plongea son bras dans cet ailleurs. Sa main, son poignet, son coude avaient déjà totalement disparu. Elle continuait sa progression quand elle sentit quelque chose de doux et de tiède. Curieusement, cela ne l’effraya pas. Elle palpa la chose avant de se rendre compte de ce dont il s’agissait. Elle retira vivement sa main et se dégagea au plus vite, emplie d’une intense panique. Elle recula jusqu’à la porte. Elle était sure de ce qu’elle avait touché dans cet espace dans le miroir. C’était une épaule. Une épaule humaine. L’épaule d’un être qui vivait dans le miroir.

(la suite)