Depuis ce premier contact, elle avait, à chaque fois que la curiosité prenait le pas sur sa peur, et que le miroir voulait bien « s’ouvrir », continué son exploration. Elle découvrit vite que le corps dans le miroir était celui d’une femme, une femme aux seins merveilleusement doux, voluptueux, fermes. Et le corps était vivant, immobile, mais vivant. Il réagissait aux stimuli de la main de Sam l’explorant, les seins dardaient quand elle s’y attardait, et Sam se plaisait à s’y attarder souvent.
Parfois même, quand Sam parcourait les cuisses de cette femme à genoux dans le miroir, elle était sure qu’elles s’écartaient légèrement comme pour inviter Sam à poursuivre plus avant son exploration.
La pensée de ce corps nu dans le miroir obsédait Sam durant tout le temps où elle quittait son appartement, au début par la peur que cela faisait naître en elle, puis cela devint une obsession pour devenir une présence rassurante et désirable.

Il fallut du temps pour que Sam ose passer plus qu’un bras dans le miroir. Une fois elle explora le corps avec son pied, allongée sur la table. Et puis un jour elle passa sa tête pour découvrir un monde sans lumière, un noir total, où le toucher était le seul sens actif. En tâtonnant elle trouva les lèvres de la femme et Sam y apposa les siennes. Sam était persuadée ce jour-là qu’on lui avait rendu son baiser.
Et aujourd’hui elle était prête, prête à traverser le miroir entièrement, prête à rejoindre la femme dans le miroir.
Debout sur sa table, elle finit par se déshabiller totalement et, nue, regarda devant elle, non pas son reflet mais vers celle qui devait se tenir nue devant elle. Sam pouvait sentir la chaleur qui naissait dans son bas-ventre et un frisson lui parcourant son dos, sa nuque, ses bras.
Et sans prévenir, comme quand on se décide enfin à se jeter dans le vide, elle s’avança et entra entière dans le miroir. Et durant deux jours, rien de plus ne se passa dans la « grande pièce » de Sam.

Au troisième jour, une femme sortit du miroir. Une femme nue, aux longs cheveux noirs et fins, à la petite taille et aux seins lourds mais fermes, une femme qui n’était pas Sam. Elle devait avoir dix-sept ans à peine, et sa peau état d’un blanc pur. La femme regarda longtemps autour d’elle, puis descendit de la table et se servit un verre d’eau. En le buvant on pouvait lire qu’elle redécouvrait un plaisir depuis longtemps évanoui.
Elle entra dans la chambre de Sam et en ressortit quelques minutes plus tard, portant des vêtements un peu trop grands pour elle. Elle prit le sac et le manteau sur le crochet près de l’évier, et se dirigea vers la porte. Avant de sortir, la femme se retourna vers le miroir, lui adressa un regard mi-coupable, mi-triste. « Je suis désolée », dit-elle dans une langue qui n’était pas de l’anglais.
Elle sortit et la porte se referma face au miroir. En prêtant l’oreille on aurait pu entendre un léger crissement dans la pièce, comme le feraient des ongles sur une surface de verre.

Fin